" Le désir puis le plaisir révèlent et trahissent l’enfermement de chacun dans sa peau, dans ses limites corporelles contraignantes. L’intersubjectivité sexuelle suppose moins la fusion que la juxtaposition, moins la confusion que la séparation. L’éjaculation, masculine ou féminine, prouve l’impossible religion amoureuse et l’évidence d’un athéisme en la matière. (…)
Pas de communication de substance, pas d’âmes qui se mélangent, pas de corps qui s’identifient : le philosophe est formel, dans la sexualité, on exacerbe la nature séparée des monades et leur définitive incapacité à se pénétrer, se fondre, s’unir et fusionner. Chaque corps, reproduit la figure de l’atome : insécable, sans porte ni fenêtre, telle la monade leibnizienne, rien de son identité ne sort de lui, rien n’entre en lui, il subsiste en sphère pour lui-même, et non avec autrui.
D’où les aspirations infructueuses à cette confusion impossible par les baisers, les pénétrations, les pincements ou griffures, les morsures, les étreintes, les sueurs, les salives et les substances mélangées, les succions, les désirs d’incorporation buccale. Or, rien n’y fait : chaque corps demeure désespérément dans sa forme, dans sa complexion, essentiellement inchangé. Dans le désir sollicité et le plaisir exacerbé, chacun expérimente l’extase autiste et la volupté solipsiste, radicalement étranger aux émotions de l’autre qui le concernent par les seules satisfactions égoïstes et narcissiques qu’elles lui procurent. La jouissance de l’autre intéresse car elle fait la démonstration narcissique d’une capacité à la déclencher (…). On jouit du plaisir de l’autre parce qu’on le déclenche – on souffre de ne pouvoir le provoquer, mais on ne jouit pas le plaisir de l’autre. "
Michel Onfray, Théorie du corps amoureux, 2000
émulsion n'est pas fusion.
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