La lisière c’est la zone de frottement entre deux espaces.
En général, c’est une limite entre forêt et champ. Au loin fermant l’horizon : la forêt, et en avant la zone défrichée pour être cultivée. Le champ est lumineux. La forêt c’est l’obscurité, l’habitat des « génies de la forêt », la zone où on rejette des craintes, des peurs et des pierres.
J’ai toujours été fasciné par ce type de paysage. Quand on est au bord d’un champ on peut apprécier assez facilement les premières dizaines de mètres parce qu’on peut se projeter en parcourant cette distance. Après c’est une étendue indéfinie. On ne retrouve visuellement quelque chose de palpable qu’au niveau de cet écran qui vient fermer le paysage. J’ai toujours pensé que la vie consistait à avancer dans cet espace et à découvrir petit à petit en avançant dans une étendue indéfinie la matérialité des choses. Et puis on arrive au bout, dans un « au-delà ». La disparition.
Un jour une amie architecte m’a dit que la lisière peut aussi être parcourue en la longeant, comme un funambule. L’image m’a beaucoup plu et je me suis imaginé sur un câble tendu juste à la lisière de la forêt, avec un balancier permettant de me maintenir l’équilibre. Un côté du balancier se trouve dans le grand jour et l’autre dans l’obscurité. J’avance porté par l’ombre et à la lumière.
Ce qui évoque la peinture de Rembrandt. En effet, ce qui fait la lumière très particulière de ses œuvres, c’est une façon (avec une technique très originale) de faire vibrer de la lumière dans l’ombre et d’introduire de l’ombre dans la lumière. On n’est loin d’une dialectique simpliste.
LISIÈRE
Extraits d’un entretien de Jean-Pierre Brazs
" Je m’intéresse aux limites plus qu’aux choses ou aux lieux eux-mêmes. Aux limites et aux liens : il m’arrive souvent quand j’interviens dans un lieu de créer des passerelles avec d’autres interventions dans d’autres lieux. Ce qui est entre les choses, les lieux, les mots, est peut-être plus intéressant que les choses elles-mêmes. "
- Talvera 1, 1987