Photographie de L. 20 juin 2014 |
Paysage
Je veux, pour composer chastement mes épilogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels, emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
les tuyaux, les clochers, les mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.
Il est doux à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés , les automnes;
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais,
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front du pupitre;
car je serai plongé dans cette volupté
d'évoquer le printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire,
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal.
Photographie de L. 20 juin 2014 |