E x t i m e (journal)

lundi 28 novembre 2016

Travail dans l'inachevé

par François Chaslin

" Deux visions s'affrontent l'une selon laquelle la ville moderne serait nécessairement centrifuge, appelée à 
se disperser dans les territoires sans borne de la mégalopole et qu'il y a là un phénomène à la fois fascinant et irrépressible. 
L'autre selon laquelle il importerait au contraire de rassembler, de reconquérir et densifier les territoires qui ont été déjà gaspillés, et de cesser de bâtir la ville hors de la ville.

Celle qui voudrait que la ville soit une succession d'entités, une collection d'oeuvres achevées,  d'atmosphères, de typologies à protéger parce que chacune témoignerait d'un âge particulier de la civilisation urbaine et reléverait d'une cohérence particulière. 
Et celle qui considère la ville comme un 
perpetuel inachèvement, le fruit de mécanismes de substitution, un continuum historique à certains égards vertigineux dont il faudrait faire I'archéologie et dont il conviendrait avant d'agir, de comprendre 
à chaque fois la généalogie. 

En arrière-plan, deux imaginaires. 
Celui de la forme pure, finie, idéale. 
Et celui de I'impureté, de l'informe
Deux topologies, celle de I'espacement de la dilatation et de la discontinuité. Et celle du contact,du collage, de l'imbrication voire de la confusion des espaces sédimentés
Deux visions de la démocratie et de la solidarité humaine. Enfin deux attitudes face à la création architecturale. Celle du geste singulier. Et celle du dialogue et de la négociation, du travail infiltré au sein des règlements et des contraintes, de la composition plurielle, voire de la banalité.
Cette seconde approche est celle qu'a  théorisé et tenté de pratiquer Antoine Grumbach depuis plus de vingt ans déjà qu'il parle de la mémoire et de la nécessité de "faire la ville sur la ville"
Cette démarche à caractère général et philosophique, plus vitaliste que conservatrice bien qu'elle ait mûri dans la période postmoderne, fut longtemps considerée comme historiciste.
Elle se confronte aujourd'hui aux nouveaux espaces des périphéries, à diverses échelles, II y a bien évidemment quelque chose d'intime et de personnel dans la démarche d'Antoine Grumbach, quelque chose qui est enfoui dans le tréfonds de son inconscient, et dont témoignent cette manière qu'il a de nouer les doigts, de mêler les mots jusqu'à I'essoufflement, d'aimer les toiles nattées de François Rouan, de plier et tresser physiquement ses architectures et surtout de vouloir faire de la ville un entrelacs d'espaces et de temporalités. D'une insondable complexité, d'une angoisse de l'inachèvement perpétuel, d'une obsession, il a su faire une doctrine qui a valeur générale . En cela, il est exemplaire, intellectuel sur la scène architecturale. Praticien autrefois hanté par l'archéologie et par les ruines (jusqu'à en construire de neuves), amoureux de villes travaillé par l'idée de dérive "psychogéographique", enseignant qui tenta de saisir, parfois de cartographier l'épaisseur spatiale et historique des sédimentations urbaines, il emploie les outils conceptuels de sa génération, principalement l'analyse structurale et la psychanalyse, disciplines troublantes qui, assez discrètement, guident sa quête de la mémoire humaine, de la trace. de la blessure peut-être, de l'impur et de l'hétérogène, du lien et de l'entre-deux. 
II y a là aussi quelque chose d'une métaphysique juive de l'espace, parcourue depuis l'origine des temps par l'idée du nomadisme, du passage, de la transformation, de l'inachèvement et de l'attente, et la peur de la dispersion. Avec au fond cette conscience de la particulière dureré des temps, quand la violence des transformations urbaines traumatise la ville et le legs des civilisations. Ce qui n'est pas neuf mais à un rythme plus grand que dans d'autres époques. a des échelles surtout beaucoup plus vastes. "


François Rouan 

" Superpositions, nouages des unes et des autres, images fixes et images en mouvement cherchent toujours le même tressement indénouable de la figure et du fond. " 
François Rouan

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