E x t i m e (journal)

samedi 18 octobre 2014

Lier Entrelacer Ecrire


"Notre monde a besoin de bons lecteurs, sans doute encore 
davantage que de bons écrivains. Il en va ici des paysages 
comme des livres : la lecture précède nécessairement 
l'écriture qu'elle irrigue et nourrit. A regarder les interventions
paysagères de Jean-Pierre Brazs, on devine tout de suite 
qu'on a affaire à un grand lecteur du paysage – un promeneur 
tranquille, un regardeur qui plonge dans le lieu qui l'accueille 
et qui prend le temps d'en faire la lecture, avant d'en proposer 
sa relecture singulière sous la forme d'une œuvre qui vient 
prolonger ce lieu et rendre un hommage discret à tout ce qui a 
pu combler son regard de lecteur. Il suffit parfois d'un seul 
point de vue sur le monde pour qu'il prenne forme : dans son 
intervention sur le site, il est question d'ordre et de désordre,
mais aussi de réalité et d'apparence. Car rien ne ressemble 
plus au désordre qu'un ordre qui s'organise : pourvu qu'on 
ouvre l'oeil, Le jardin du cercle d'or nous le donne à voir sous
la forme d'une étrange anamorphose qui confronte
l'entremêlement chaotique d'un amoncellement de branches à 
la rigueur géométrique du cercle parfait. De loin, on voit juste 
un tas de branches posé sur une dalle circulaire de béton. 
Mais en s'approchant, le visiteur découvre dans ce désordre 
apparent des traces de dorure ; en se déplaçant autour de
l'assemblage, les taches brillantes se rassemblent ; une forme 
incertaine apparaît qui l'encourage à se placer au point focal 
de l'anamorphose, signalé par une marque au sol : alors 
seulement le cercle d'or se (re)constitue et s'imprime sur la 
rétine du visiteur – car ce qui est vu n'existe pas ailleurs que
dans le regard que l'on pose sur le tas de branches, à cet 
endroit précis. Jean-Pierre Brazs s'amuse à duper notre 
regard : il nous invite à nous déplacer et à nous orienter pour 
découvrir le seul point de vue où il nous faut chaque fois nous 
placer pour découvrir le cercle parfait qui émerge ainsi de ce 
qui, au premier coup d'œil, n'était qu'un chaos disparate. Ce 
cercle semble ovale parce que notre cerveau et la vision 
binoculaire corrigent l'effet purement optique. Mais Il suffit de 
fermer un œil pour que le cercle parfait apparaisse – et si vous
fermez les deux yeux pour prolonger le plaisir, vous le verrez 
peut-être voyager, comme un éclat de soleil illumine la nuit qui 
tombe en taches noires sous nos paupières baissées."

François de Coninck
Extrait de « Lier, entrelacer, écrire : un autre regard sur le site »