J’utilise des images de magazines de mode, de photo ou de porno. En premier lieu : je pense à ruiner l’harmonie, et faire voler en éclat ce qui fascine, ce détournement, à la manière d’un morceau de musique expérimental: «Noise», ou d’une «coupe» de Gordon Matta-Clark me permet de faire cheminer le cerveau dans un espace qu’on ne peut saisir facilement. La chirurgie de l’image est en œuvre : extraire, voir disséquer des matières sans se soucier de la représentation originale. Ces images de magazines, représentent un paroxysme de la séduction sociale, elles se ressemblent toutes, et font cohabiter sans hiérarchie sublime et réalisme à des but mercantiles. Leur physicalité m’intéresse plus qu'une image prise sur internet, manquant de matérialité, de rudesse. J’utilise, en passant par la dissection des images, des processus similaires de fabrication (agrandissement, composition, colorisation, trompe-l’œil) à des fins complètement différentes.
Détournées et recomposées dans un espace vide, mental, la transformation violente des images initiales se fait sentir: elles ont été dépouillées, évidées, puis «réparées», grâce à l’aimantation fragmentaire, plus ou moins aléatoire.
Cela tend à rendre compte d’un mécanisme humain. Incomplet : il l’est toujours, et il est voué à des métamorphoses qui ne mèneront nulle part, qu’à l’état de ce mouvement perpétuel. L’état constant : est celui de la métamorphose, du chaos, des tentatives de fusions contrariées. C’est une contradiction que je ne peux expliquer autrement. Même si ça tend vers l’explosion, je prends un soin tout particulier à ces ruines, comme s’ils étaient des émaux, des miniatures. Je ne cherche pas à reproduire un effet «naturel». La retranscription, et la mise en situation dans un espace plus grand, en peinture à l’huile, sont un détournement supplémentaire qui ajoute, à la confusion par le trompe l’œil, et la sensualité de l’huile qui donne une impression de proximité. On voit tout, de très près : mais on ne voit rien. Le corps est là, et pourtant il n’est le centre de rien : on le soupçonne partout, sans le reconnaître, il n’est que pris dans un mécanisme, qui ne mène à rien d’autre qu’à tourner comme une machine, et à faire acte d’une présence que je souhaite très ambigüe, et finalement bien immobile.
Je tente d’offrir des chemins de compréhensions parasites, incomplets, un nouveau «pli», de l’image, en essayant d’être entre l’abstraction et la figuration : je pense autant à Bosch qu’à Kandinsky, autant à Bellemer qu’à Stella et m’intéresse depuis peu à la peinture réaliste et hyper réaliste actuelle, comme la façon dont Chuck Close, isole l’image zone par zone et accède à sa matière, d’une façon ultra pragmatique. "
Chloé Julien (2013)