" le geste primitif de l'architecte " ?
C'est ce dessin simple mais explicite et bavard comme peuvent l'être les peintures rupestres.
C'est celui dont on peut dire après coup (donc après réalisation), que tout y était, tout était déjà dit.
Il me semble que ceux, dont on s'accorde à dire qu'ils sont de "grands" architectes - et ce, quelque soit leur écriture architecturale - ont ceci de commun qu'ils s'en tiennent à leur idée première et la réalisent fidèlement.
Ils parviennent à faire de ce premier geste, de ce premier coup de crayon, de ce premier jet, une réalité construite.
Alberto Campo Baeza évoque le penser avec les mains :
"Todos ellos, siendo muy diferentes entre sí, tienen en común ese “pensar con las manos” que es la lógica consecuencia de su decidida voluntad de hacer de la arquitectura una idea construida."
Louis Kahn parle d'intuition :
"Tout ce que nous désirons créer trouve son commencement dans la seule intuition. C’est vrai pour le savant. C’est vrai pour l’artiste. Mais je mis le jeune architecte en garde : s’en tenir à l’intuition loin de la Pensée signifie ne rien faire."
Le Corbusier, lui, de sentiment :
"Avant la naissance même du raisonnement, le sentiment surgit qui porte à l’acte : la raison donne ensuite ses aises à l’esprit par diverses confirmations qui semblent indiscutables."
Et tous deux évoquent la pensée, le raisonnement ( le rationnel ?) comme prolongement à cette "intuition-sentiment". Oui, il faudra cogiter / travailler pour que de ce simple geste né d'une idée pure, aboutisse une construction bien réelle. Enorme enjeu.
D'où leur vient donc cette intuition de départ ? difficile de répondre mais on peut formuler une autre question :
Comment l'architecte décèle-t-il le potentiel de ce premier jet et s'en auto-persuade-t-il ? D'où lui vient cette conviction que "c'est ça qu'il faut faire" ? c'est là que prend toute la force du mot sentiment : c'est quelque chose intimement ressenti. Une intime évidence.
Sommes nous tous aptes à avoir à cette "bonne" intuition ou bien faut-il juste en être conscient ou juste être confiant (se fier à ) en soi-même ?
Certains parlent de concept, mais ça n'a rien à voir avec ce que j'appelle "le geste primitif".
Le concept résonne pour moi comme un "ready made" quelque chose de déjà "tout prêt" à l'avance, d'abstrait, de figé en quelque sorte. c'est quelque chose qui peut nourrir la réflexion mais qui n'est pas à l'origine du projet.
Alors que le premier jet intègre, et l'intervention elle même et son rapport au lieu, dans une certaine dynamique. Bref quelque chose de contextuel. Dans ce coup de crayon, on a l'esssence du projet. (sa nature intime).
Comment l'architecte peut-il convaincre les autres avec ces quelques traits sommaires ?
Tout simplement , je crois, grâce au "Less is more" si cher à Mies Van der Rohe.
Les traits essentiels ont plus de force que les plans détaillés. C'est ce que les publicitaires ont compris depuis longtemps : le logo le plus simple est le plus représentatif, le plus explicite.
Et puis, autre atout non négligeable : l'esquisse laisse le champs libre à l'imagination, tout semble possible, chacun peut s'y projeter, chacun peut se l'approprier. - le thème de l'appropriation (en tant que vécu) de l'architecture serait d'ailleurs à développer -
Cela étant dit, chacun sait que l'élaboration d'un projet est longue (des années), doit intégrer une foultitude de contraintes ( contrainte de programme souvent mal exprimé,contraintes réglementaires, techniques, de mise en oeuvre, financières, relationnelles, ... ). La tentation est grande de complexifier, d'en rajouter au passage.
Mais alors, comment font ces architectes pour que toutes les contraintes inhérentes à la conception architecturale et au process de "fabrication" n'entament pas, ne dénaturent pas leur première esquisse ?
Comment font-ils pour s'en tenir à ( ou au moins toujours y revenir ) à la base (car c'est la clé) ... sans superflu .
Ils gardent en eux cette intuition de départ, ce geste primitif, pendant tout le déroulé du projet, comme un guide, comme des rails, pour ne pas dévier du but.
Ca semble si simple, et c'est pourtant si difficile.
Comme le marin tient bon la barre contre vents et marées.
Comme la danseuse enchaîne les pirouettes avec légèreté alors que ses orteils sont en sang dans leur pointes.
L'architecture réussie ( comme la régate ou la chorégraphie) ne transpire pas la souffrance, elle est le juste reflet de la beauté de ce premier geste (la beauté s'entend bien sûr non par la perfection du dessin mais bien par l'évidence qu'il suggère) .
Car, enfin, à la réalisation , on ne peut que s'exclamer :
Que c'est beau cette cohérence !
Les illustrations parlant forcément d'elles-mêmes (et bien mieux que l(m)es mots ) voici quelques esquisses nées de ces gestes primitifs et leur réalisations. Regardez, détaillez, vous verrez que tout y était déjà ...
L.
Avec du retard, merci à Karl qui m'a "poussée" ou au moins motivée à écrire cet article...
RépondreSupprimer" Because I also try to work from almost a dream state, a kind of intuitive stage, where you’re not trying to make it an a priori to do a creative effort. Every morning, my exercise, almost like exercising the subjective, is to work a couple of hours, one hour at minimum, to do drawings. Those can relate to a building that’s in process and other ones can be just studies. I will see certain things emerge. Sometimes the word comes first, and then there’s all these shapes, and then I kind of re-imagine the text. And then afterwards, maybe for my classes, I sit and write more descriptive and theoretical propositions. But as a kind of daily process, I’m not working from a template—there’s an openness, there’s a kind of mystery, an unknown that might just appear. That’s actually what’s exciting." Steven Holl
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