Et pour moi, un joli clin d'oeil à " Claude Parent "
Entretien avec Aurélien Bory
par Stéphane Boitel, réalisé pour le Journal du Théâtre Garonne, janvier 2003
Plan B ?
Aurélien Bory. – C’est une expression utilisée essentiellement dans les polars ou les films d’actions. On passe au plan B quand le plan A n’a pas marché. Tout cela me plaît énormément : bâtir un plan, en prévoir un de rechange, en sachant que si ce dernier échoue également, il n’y aura pas de “plan C”. Les personnages de Plan B sont dans cet état d’esprit, d’action, d’espoir, de fragilité. Seuls avec leurs plans…
Plan de masse ?
A. B. – Plan B est le deuxième spectacle d’une trilogie, qui met en rapport le jonglage et l’acrobatie avec des contraintes d’espace. Dans IJK, le travail sur le cube, sur le volume, avait révélé le rythme et la musicalité du jonglage et proposait de cette discipline une perception différente : au lieu de le donner à voir, de l’aborder par son côté visuel, nous proposions de l’entendre. Avec Plan B, c’est le plan que nous explorons. Ce qui place la scénographie au centre de notre travail. Cette géométrie particulière impose un certain rapport au mouvement et à l’acrobatie, en lien ténu avec les lois de la physique. Nous tentons de l’investir de la manière la plus large possible, et de percevoir quels rêves, quelles qualités, quels écueils se cachent derrière ce dialogue avec la gravité.
Plan-séquence ?
A. B. – La décomposition du mouvement nous renvoie au cinéma et à la photo, avec par exemple les travaux de Muybridge ou Marey – qui d’ailleurs se sont beaucoup intéressés à l’acrobatie. Pour le cinéma, je pourrais citer Méliès, qui a utilisé les artifices du cinéma au service de la magie et de l’illusion. Nous lui faisons un clin d’œil dans Plan B, à ceci près que chez nous l’artifice ne disparaît pas derrière l’illusion : à l’inverse, il s’agit même de mettre en évidence le dispositif, d’en souligner sa simplicité, la pauvreté des moyens techniques, pour ne retenir que son contenu poétique. Différents moments du spectacle sont inspirés du cinéma, citant par exemple Keaton, qui reste la référence de l’acteur, dans le sens où son travail a consisté à s’emparer de plusieurs pratiques artistiques. Cette démarche nous est chère : convoquer sur le plateau la musique, l’acrobatie, le jonglage et la danse, comme des moyens de mener à bien notre travail d’acteurs.
Plan d’attaque ?
A. B. – Concrètement, mon rôle a été de concevoir et d’imaginer les principaux axes de Plan B. Puis de réunir l'équipe artistique. J’ai alors eu l’idée de proposer la mise en scène à Phil Soltanoff, non habitué à ce type de projet. C’est un travail d’équipe. Les acteurs sont polyvalents. La lumière, le son sont très présents. Tous participent à la création à partir des contraintes de départ, principalement celles de la scénographie. Ce qui produit une matière artistique, sur laquelle s’appuie Phil Soltanoff pour développer la mise en scène.
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Entretien avec Phil Soltanoff
par Stéphane Boitel, réalisé pour le Journal du Théâtre Garonne, janvier 2003
Concernant votre travail avec mad dog, vous parlez volontiers de théâtre expérimental. Qu’entendez-vous par "expérimentation" ?
Phil Soltanoff - Le travail de John Cage est pour moi un puissant exemple de ce que peut être l’expérimentation, dans la façon dont l’espace et le temps sont articulés. Ses textes sont également une forte influence : y reprendre un des problèmes qu’il soulève et les solutions qu’il propose, et y trouver des équivalents théâtraux. Nos pièces sont bâties collectivement et ont pour point de départ le mouvement - notamment le mouvement improvisé - plutôt que le texte, qui est ajouté dans la construction globale. De ces improvisations nous retenons les éléments que nous préférons. Ce que nous faisons finalement, c’est collecter des fragments, des choses que tu vois dans l’espace, que tout à coup tu pointes du doigt en disant " C’est ça qui m’intéresse ! ". Pour nous définir, je pense que l’élaboration collective est importante pour nous, comme le mouvement en tant que point de départ du travail, comme le fait d’envisager le travail dans un espace particulier : regarder un espace, voir ce qu’il raconte architecturalement, historiquement, psychologiquement, physiquement…
C’est la première fois que vous mettez en scène le travail d’une autre compagnie ?
P. S. - Oui. Ce qui est intéressant, c’est qu’à la base il ne s’agit pas de mon idée. Bien sûr, plusieurs idées dans Plan B viennent de mad dog, mais au final c’est un mélange de nos convergences et de nos divergences. Ça me plaît beaucoup de découvrir cette façon de travailler. Ce n’est pas douloureux, au contraire, c’est plutôt plaisant de se trouver dans la situation de ne pas tout comprendre. Avec Aurélien, mon collaborateur principal sur Plan B, nous nous accordons sur beaucoup de points : l’espace, la simplicité, un langage corporel abstrait. Mon principal apport et mon plaisir c’est de transformer des postures de cirque en un tout cohérent qui soit une pièce de théâtre. Où est la frontière entre le théâtre et le cirque?
Avez-vous vu leur précédent spectacle, IJK ?
P. S. - Oui, en vidéo. Ce qui m’a tout de suite intéressé c’est la façon d’utiliser le décor, pas seulement comme une toile de fond mais en intégrant réellement les corps dans l’espace. Et en pensant le jonglage en tant qu’événement, pas pour montrer le talent du jongleur.
Comment Aurélien Bory vous a-t-il présenté le projet ?
P. S. - Il est arrivé à New York avec une maquette de la scénographie, m’a parlé de son idée, et m’a demandé si ça m’intéressait d’y collaborer. Il m’a parlé de ce plan incliné, Et il a évoqué la possibilité de projeter une vidéo à la fin du spectacle. Aussi simple que ça ! Nous en avons discuté, j’ai proposé quelques idées qu’évoquait pour moi la vision de corps en train de jongler, et peu à peu une logique est apparue, structurant toutes ces idées du début à la fin.
Comment travaillez-vous avec la compagnie ?
P. S. - Je commence par poser une idée dans l’espace, puis je laisse chacun s’en emparer et y répondre à sa façon. D’une certaine façon je provoque les choses et les mets en branle. Certaines parties, par exemple le plan à 90°, ont été travaillées par la compagnie en mon absence., ce qui m’a permis dès mon retour d’organiser les choses très rapidement. Depuis la première fois que je suis venu ici, il y a un an, j’ai vu les pistes qu’ils suivaient, ce que je voyais c’était un mouvement, et sa conclusion, puis un autre mouvement, et sa conclusion… Mais comment un mouvement amène celui qui vient ? Je pense vraiment à cette pièce comme à une pièce musicale. De la musique visuelle, si l’on veut. C’est la façon la plus simple de communiquer avec n’importe quel spectateur. Mon rôle est de composer une sorte de partition avec toutes les scènes qu’ils jouent. Je sens quand ça ne leur parle pas, quand ils bloquent, je dois alors reprendre la scène d’une autre façon pour la faire revivre. Finalement, c’est un voyage que propose le spectacle, en partant d’une forme simple qui est progressivement développée et complexifiée pour aboutir à la séquence vidéo finale. Il me semble que IJK ne faisait pas un aussi long voyage… mais cela n’a été possible qu’avec la collaboration de chaque membre de la compagnie.
Pouvez-vous me parler un peu de ce "voyage" ?
P. S. - Le jonglage, ou l’acrobatie, ce sont de simples faits. Quand une balle est en l’air, elle ne pose aucune question : elle est en l’air, et c’est tout. Si tu l’attrapes, si tu la rates, ça ne pose aucune question. Certains faits engendrent de la tension, d’autres de l’amusement, d’autres du mystère, d’autres de la stupidité… Jouer de ça donne un sens à la pièce. Le dispositif lui-même est un simple fait : un plan, incliné selon différents angles. Mais la succession de ces inclinaisons donne déjà un sens et fait jaillir sur le plateau un motif évident : la gravité. La gravité elle-même est un pur fait que tout le monde connaît : si je saute en l’air, je retombe aussitôt. Mais sur un plan incliné à 30°, la gravité n’a plus les mêmes effets et participe alors d’une illusion. À partir de là, nous avons développé le motif thématique du plan au sens de projet : le projet, le plan, sont comme la gravité quelque chose qui nous traverse, nous donne une force et nous oriente dans une certaine direction. Durant tout le spectacle, ces motifs se font écho et se répondent. Mon rôle a été de regarder et de réfléchir à la façon de les adresser au public. Même si c’est le théâtre expérimental qui m’intéresse le plus, je suis convaincu que le théâtre doit rester un moyen de communiquer. Je pense qu’une œuvre doit être généreuse, dans le sens où elle doit autoriser le public à être actif, à participer. C’est aussi la raison pour laquelle je n’ai pas créé depuis longtemps dans un véritable théâtre : parfois ça se passe dans des galeries d’art, ou dans des squats d’artistes, ou même dans des usines désaffectées. Le fait que l’espace ne soit pas conçu pour recevoir un spectacle m’intéresse énormément, car cela pose des questions au public, une certaine instabilité qui rejaillit directement sur le spectacle lui-même. D’une certaine façon, jouer Plan B dans un théâtre est un autre challenge pour moi. Là, je ne peux pas jouer sur le côté décalé de l’espace, il faut donc trouver d’autres vecteurs d’instabilité pour éviter l’endormissement du public.
Comment envisagez-vous dans le spectacle l’éventualité de l’accident : une balle manquée, une figure ratée ?
P. S. - C’est une bonne question, en ce sens que je n’ai pour le moment aucune réponse. On verra ce qui arrive. Mon intuition est que si la pièce fonctionne bien, un tel accident n’aura rien de catastrophique. Mais je serai curieux de voir ça. Parce que pour moi, une pièce de théâtre doit être en permanence un accident à craindre. J’aime avoir la sensation que chaque seconde écoulée est une catastrophe qui n’a pas eu lieu.