E x t i m e (journal)

vendredi 30 mai 2014

Le cimetière d'en face

Les maisons de retraite réussies sont celles qui se trouvent face au cimetière.




La vieille femme au cimetière. Lauritz Anderson RITZ. 1904


Vous trouvez cette idée saugrenue, voire même glauque ?

C'est que vous êtes jeune...

Mais quand on est vieux :

On aime visiter ses morts, époux ou copains, partis avant nous.

Un cimetière c'est calme,
sauf à la Toussaint, mais ça fait voir du monde juste quand les mauvais jours arrivent.

On se sent encore utile quand on n'a plus que les tombes à nettoyer.

Et puis, les fleurs c'est beau,
et c'est moins d'entretien qu'un grand jardin.
Et les fleurs ça meurt, on voit qu'on n'est pas les seuls.

Au cimetière, les morts écoutent, même si on radote.

Quand on le voit tous les jours, le cimetière, on a le temps de s'y faire, de se projeter. Et tout le monde sait que quand on vieillit, il faut du temps pour s'adapter au changement, sauf que du temps, on n'en a plus beaucoup. Donc, là on s'y fait quotidiennement,  doucement mais sûrement.

Enfin quand on devient vieux, la mort n'est pas triste, c'est juste la suite logique.

Mais pour combien de temps ? de nos jours, la mort on la craint, on l'occulte, on l'écarte de nos vies.

L.







à mon grand-père qui nous avait dit de faire la fête et de rire le jour de son enterrement.
à ma grand-mère qui a passé sa dernière année en maison de retraite, face à la mer... et qui aurait préféré être face au cimetière près de mon grand-père...j'en suis sûre.
















mercredi 28 mai 2014

Le Vide

Le vide est à habiter.

Pourquoi toujours envisager l'architecture comme un plein?
Les vides laissés par les interstices, les fentes, les entre-deux, les cadrages font (la qualité de) l'espace.
Ce que l'on ressent dans un lieu provient de la manière dont on le traverse, que ce soit du regard ou du corps tout entier.
Comment les pleins dialoguent entre eux, grâce au vide. Distendu, expansif, mesuré, 
du vide naît une lumière particulière ; du vide naît une sonorité particulière ; du vide naît un mouvement particulier ; du vide naît (ou pas) le toucher . Et ce que le vide crée, le définit en retour.
La lumière, le son, le mouvement sont liés et déterminés par le vide.
Construisons le vide, ou laissons le vivre pour y vivre nous-mêmes ...

L.

間 

Choix


"Tu as le choix

Fais ton choix
Tu dois choisir.

Ceci est un ultimatum. "

Mmmmh un 1er choix de second choix ...

Et si je ne veux pas choisir, moi ?

Non pas par indécision,
mais juste parce que je veux tout (concilier).

Pourquoi se restreindre ?

Tout prendre à tout prix ... utopie ?

L.

Kanak


















Jean-Marie Tjibaou Cultural Center


Nouméa, Nouvelle Calédonie, 1991/1998

Architecte : Renzo Piano




jeudi 22 mai 2014

Arénicole


















Sandworm Willow cathedral on Belgian dunes, 2012 -  Architecte : Marco Casagrande 



Sandworm is an organic structure/space/creature realized on the dunes of the Wenduine coastline, Belgium. The 45 meters long and 10 m wide and high installation moves freely in-between architecture and environmental art and is constructed entirely out of willow following the local knowledge of a continuing interaction between work and environment. Casagrande worked hard with his team of young architects and local experts for 4 weeks in order to create something that he describes as “weak architecture” – a human made structure that wishes to become part of nature through flexibility and organic presence. The visitors are describing the Sandworm as a willow cathedral finely tuned to celebrate the site specific conditions of the Wenduine tidal beaches. The space is used for picnics, relaxation and post industrial meditation.

lundi 19 mai 2014



  kanji symbolisant un soleil (petit kanji au milieu) entouré par une porte. J'avais lu également quelque-chose comme "rayon de lune passant entre deux volets entrouverts" ... mais bon, n'ayant pas appris moi-même le japonais ...

Le ma signifie l’intervalle, l’espace, la durée, la distance. Non pas celle qui sépare, mais celle qui unit. Ce terme est employé comme concept d'esthétique, il fait référence aux variations subjectives du vide (silence, espace, durée) qui relient deux objets, deux phénomènes séparés. Ce concept est décliné dans de nombreux arts : architecture, peinture, arts martiaux, art culinaire, théâtre, musique, etc.



Le Ma : intervalle, transition, pause, respiration, passage
- incarne et s’incarne dans tous les éléments qui permettent de relier "et/ou" de séparer un lieu d’un autre, un temps d’un autre ;
- au niveau de l’espace ou du quotidien : portique, seuil, marche, galerie, chemin de gravier…
- permet aux sensations de s’épanouir, force cachée du Ma, codes imperceptibles favorisant une harmonie entre soi et l’espace ;
- est aussi un certain type d’intervalle dans la musique et la danse traditionnelle ;
- temps de silence dans la diction ;
- privilégie les blancs et le néant en tant qu’ils appellent à y percevoir une infinité de significations ;
- combinaison d’un vide, d’un silence, d’un arrêt, d’une pause, d’un décalage ;
Le Ma introduit dans la suite des signes qu’impose un émetteur quelconque, des zones libres où le récepteur a le besoin d’inscrire la signification de son goût.
Le Ma est aussi associé à la notion de bordure, le bout, le liseré, le cadre, la plateforme ou véranda qui ourle la maison traditionnelle et où l’on n’est ni vraiment dehors ni vraiment dedans.
Le Ma sépare tout en reliant
« Le sens de l’espace au Japon », d’Augustin Berque, Éditions Arguments




Le Kôjien (équivalent du Petit Robert pour la langue japonaise) propose pour "ma" :

Architecture

« Espace ouvert » : transition vide qui sépare et relie deux espaces ou l'intérieur et l'extérieur.
Le ma est aussi associé à la notion de bordure, le bout, le liseré, le cadre, la plateforme ou véranda qui ourle la maison traditionnelle et où l’on n’est ni vraiment dehors ni vraiment dedans.
Ma : « portique », « seuil », « marche », « galerie », « chemin de gravier ».

Théâtre

Petite pause marquée pour laisser à la réplique le temps de porter, de faire son effet , immobilité active.

Danse

La pause (suspension) qui crée le rythme, inaction entre deux mouvements.

Mode

Ma est aussi un "espace " intéressant entre la peau et le tissu. Chaque anatomie étant différente, le "ma" est toujours unique et crée une forme spécifique à l'individu.

Musique

La pause (suspension) qui crée le rythme, silence entre deux phrasés musicaux.

Art martiaux

Le ma-ai (間合い principe d’aikiest très présent dans les arts martiaux où il désigne l'espace entre deux adversaires qui détermine le protocole du salut et de l’engagement du combat ; non seulement la distance entre les deux adversaires, mais aussi le temps qu'il faut pour franchir cette distance. Le Kanji 合pour "ai" représente un pot avec un couvercle dessus et symbolise deux choses qui s'accordent ensemble, l’union, l’harmonie.

Art floral : ikébana

On ne sature jamais l'espace.

Art de la table

L’art de la table est érigé au Japon au même rang que l’ikebana ou que la calligraphie. Esthétique du vide dans l’arrangement des mets au cours des repas : on ne remplit jamais le bol, l’équilibre entre le contenant, l'espace vide et la nourriture est crucial. 

Calligraphie et Peinture

Au Japon la calligraphie et la peinture ont pour fondement l'art du trait. Cet art est différent de ce que l'Occident considère comme un trait, tracé, limite ou contour. L'essence de la chose est dans le trait, et non pas dessinée ou peinte avec des traits, limites ou contours. En calligraphie il en va de même. Le sens est d'abord dans le trait, et non pas signifié par des traits. C'est ce que l'on dit lorsqu'on parle d'un « trait vivant » dans la peinture ou la calligraphie japonaises. Le ma est un élément constituant de cette vie du trait. En effet les traits s'enchaînent et c'est cet enchaînement, appelé kimyaku (気脈,« enchaînement du ki »), qui est « l'élément le plus important de la calligraphie ». Le ma est l'intervalle entre les traits qui sépare et à la fois relie les traits entre eux. Si l'on s'arrête entre deux traits, pour réfléchir ou reprendre de l'encre, il n'y a pas d'enchaînement, pas d'intervalle vivant, mais au contraire le trait est mort. « Grâce au kimyaku, les caractères ne sont pas constitués de traits distincts, mais forment un tout vivant. Il faut l'avoir constamment à l'esprit et ne jamais arrêter un caractère en cours de route pour le reprendre - car dans ce cas il serait mort ». Le ma ne répond pas à une logique géométrique, mais à une intuition enracinée dans l'esthétique du kokoro (こころ), propre à l'esprit japonais, où l'on ne reprend jamais un trait, où l'on ne corrige jamais un intervalle.
La notion de ma est centrale pour comprendre que l'art classique japonais n'est pas une recherche du vide, mais une voie (), c'est-à-dire le dépassement de la dualité du vide et du plein : « Le concept de ma est également utilisé en dehors des arts de la scène. Dans leur tradition picturale les peintres japonais cherchent à créer un « vide plein de sens » par l'utilisation des espaces blancs ». Le vide dans l'art japonais n'est donc pas le néant, contrairement à une interprétation erronée largement répandue en Occident.


Suspension



dimanche 18 mai 2014

Suspension

" Dommage ... dommage ... les moments de suspension ne durent jamais assez longtemps." 



Arman Hors saisonfilm de Sébastien Betbeder .2013. 


間 

dimanche 11 mai 2014

Issey Miyake

Extrait de " Issey Miyake dévoile sa nouvelle collection"

Par , publié le 

La collection que vous venez présenter à Paris et qui sera en vente dans votre boutique de la rue Royale à la mi-novembre est-elle réalisée dans un de ces nouveaux matériaux?

Tout à fait. L'un des mots clefs de ce nouveau projet est "recyclage". Nous avons utilisé une nouvelle fibre polyester conçue pour l'occasion par une société japonaise en pulvérisant, fusionnant et filant d'anciennes bouteilles en plastique que l'on appelle les PET. Ce qu'il ya de révolutionnaire c'est c'est que nous avons utilisé un procédé qui rend ces fibres très douces et qui en plus permet de les recycler à l'infini car la matière obtenue est très pure. Par rapport à un polyester classique obtenu à base de pétrole, la production de ce nouveau tissu permet de réduire la consommation d'énergie et les émissions de CO2 d'environ 80%. 

Outre l'aspect écologique, il y a aussi un travail très technique sur ces vêtements que vous proposez: ce sont des carrés pliés comme des origami et le modèle n'apparaît que quand il est déplié...

Nous nous sommes inspirés pour cela des travaux d'un universitaire, que nous avons découvert sur internet, le professeur Jun Mitani. Il avait développé un logiciel pour créer des objets tridimensionnels à partir d'une simple feuille de papier plié, mais je dois dire qu'il a été surpris que l'on puisse adapter ce travail académique à une réalité de mode. Pourtant tout le challenge était là. Le travail du reality Lab n'est pas de créer de l'utopie, mais de concevoir des choses à la fois belles et viables.


Une chose est tout de même assez obscure dans cette collection: son nom, 132 5. Pouvez-vous nous l'expliquer?

Chacun de ces chiffres a une signification. "1", c'est parce que nous utilisons à chaque fois une seule pièce de tissu par vêtement. . "3" c'est parce que l'origami se déplie en 3 dimensions pour former la jupe, le pantalon ou la robe. "2" c'est pour faire référence au pliage en bidimension de la pièce de tissu. Enfin le "5" c'est sans doute le chiffre le plus poétique, c'est l'espoir que le concept de ce vêtement nous conduise à la découverte de nouvelles dimensions. Vous savez, la technique m'amuse, et il faut continuer à s'amuser en s'habillant.  










Oscar Niemeyer


Oscar Niemeyer , architecte 1907-2012



Congrès National du Brésil, Brasilia.




Musée d'art contemporain de Niteroi,
Rio de Janeiro, baie de Guanabara.

Respire



« Dans le souffle s’ancre le mouvement
L’origine du geste.

À l’écoute de l’architecture de notre souffle intérieur,
explorant les rythmes respiratoires, gestuels et sonores dans le mouvement,
le travail s’ancre dans la pulsation infinie du respiré.

Cette pulsation (spirante, inspirante, expirante, aspirante, despirante)
s’affine dans l’espace et le temps de la pratique,
s’accorde par le geste et la voix,
puis se déploie dans une danse dynamique et circulaire.
Une danse où se ritualise le souffle retrouvé » 

Abdeslam-Michel  Raji , chorégraphe

samedi 10 mai 2014

En-jeu

Entre nous, pas d'enjeu... 
que du jeu et deux je !
on vit, on vit vraiment,
sans contrat, sans promis ni juré (ou alors craché !)
on joue, on jouit
on parle, on rit
je pars comme tu viens
au gré de m/tes envies
(de) la vie.
spontanés
comme des enfants...


L.









jeudi 8 mai 2014

Béjart

« Echapper à sa propre chronologie est une joie que donnent les rêves. »

Maurice Béjart




Il a échappé à l'article  " Tous-barbus "... pourtant m'a donné tant de rêve.
Hommage au chorégraphe fameux

jeudi 1 mai 2014

L'attente

"Je me sens toujours heureux, savez-vous pourquoi ?
Parce que je n'attends rien de personne.
Les attentes font toujours mal."

William Shakespeare

Recyclage



Extraits de Entretien de  Laëtitia Bourget avec Jacques Doustin, réalisé le 25 novembre 2009 à Paris, dans le cadre de sa recherche sur Les pratiques excrémentielles en art contemporain (1961-2010)

" (...) Mais vu que les excréments sont l’aboutissement de la digestion, c’est vrai que parler de cuisine, en parlant des excréments, c’est suggérer que l’on va redigérer ses propres excréments. L’art est peut-être tout simplement une forme de digestion avec la particularité ici qu’elle prolonge celle du corps. Après la digestion organique, la digestion artistique.
(...) 
> C’est ta vision du recyclage ?
Oui. Au fond, les excréments, comme tout, continuent leur vie. Cela reste de la matière, après tout.

De la matière qui va disparaître quand même ?
Non, rien ne disparaît, tout se transforme. Même quand nous mourons, nous ne disparaissons pas, contrairement à l’expression consacrée, nous nous dissolvons en fournissant plus ou moins d’énergie (le maximum étant quand notre corps devient un aliment 
pour d’autres).
C’est artificiellement que l’on croît que nos déchets disparaissent. On s’arrange pour ne plus les voir, on tire la chasse d’eau, on enterre, on met à la poubelle, on jette dans l’océan ou on envoie dans l’espace. C’est hors de notre vue donc ça n’existe plus... 

>La vidéo « Recyclage » est-elle une réflexion pour toi-même, ou un jeu avec le spectateur ?
Ce n’est pas du tout pour moi-même. Quand j’ai commencé à faire les sculptures, j’étais dans une recherche qui prenait différentes formes qui avaient toutes pour principe de partir de mes matériaux corporels et de la vie courante. J’étais encore étudiante, en licence, quand j’ai eu une saturation à tous les niveaux. Les matériaux pour pratiquer les ateliers étaient chers, difficiles à assumer pour moi. Cela me faisait percevoir la moindre de mes tentatives artistiques comme du gaspillage, c’était plutôt inhibiteur. Du coup, la notion même de « matériau artistique » m’est apparue totalement limitante, à bannir. 
Je me suis alors mise à utiliser mon sang comme matière picturale imprégnée sur des mouchoirs jetables, mes excréments comme matière sculpturale, ma peau comme support sensible (la couture sous la peau), mon corps comme médium, et mes expériences de vie comme laboratoire. J’ai entrepris ce que j’ai nommé par la suite le Journal menstruel, une collection de mouchoirs menstruels. À partir du moment où j’ai commencé, je l’ai tenu de manière régulière pendant plusieurs années. L’idée originelle était de me donner une rigueur de travail, de pratique, qui reposait sur la constance de mon cycle organique.

>Pour les excréments, la régularité était plus difficile ?
Détail anecdotique, mais non négligeable, les jours où j’avais décidé de faire des sculptures, ça influait énormément sur ma digestion.

Une digestion plus rapide ?
J’avais la matière dont j’avais besoin au moment où j’en avais besoin. On m’a déjà demandé : « et alors, vous mangiez des choses spéciales pour vous préparer ? » Pas du tout. 
Je ne considérais pas mon corps comme une machine de production contrôlable selon des paramètres définis. Par contre, être dans l’attitude d’avoir à travailler me donnait une espèce d’autorégulation de ma digestion.

Ton corps participait à l’œuvre…
J’étais complètement englobée dans le processus de création, du début à la fin. 
Quand j’ai adopté cette méthodologie de travail, je souhaitais expérimenter le fait que l’on puisse faire de l’art avec ce qui est à notre portée, sans artifices complexes. On peut faire avec ce que l’on est. Et je pensais pouvoir le revendiquer et le transmettre aux autres comme un mode opératoire simple et accessible à tous. Je voulais produire des objets qui seraient 
assortis de fiches techniques comme pourles travaux pratiques. J’envisageais ces activités 
comme des « activités virus » qui pourraient se propager, être adoptées par d’autres qui auraient ainsi leur propre production, dans un esprit « do it yourself ».

(...)

Tu indiquais avant l’entretien qu’il n’est pas possible d’obtenir des prix avec des excréments. 
Quel accueil ont reçu tes œuvres au départ ? Comment les spectateurs les ont-ils perçues ?
La première réaction devant une sculpture-excrément est un mouvement d’attirance car cela ressemble à un objet précieux. Puis au moment de la découverte du matériau initial, cela devient plus complexe.

(...)

> Pourtant, tu indiques ton désir de revenir à l’origine, ton désir de revenir au commencement…
L’origine à mes yeux, c’est la vie, ce n’est pas le Big-bang. Avant le premier acte de nature artistique, des foules d’autres adviennent. Pour moi, l’acte artistique est avant tout un acte symbolique. Pour pouvoir produire un acte symbolique, il faut d’abord avoir accompli d’autres actes de nature pratique. On ne part pas de rien. C’est à partir du moment où un acte n’est plus justifié par sa fonction pratique qu’on aborde la dimension symbolique. Les situations de la vie quotidienne et nos comportements usuels sont la source de mon travail (par exemple l’utilisation de serviettes hygiéniques qui sont remplacées par les Mouchoirs menstruels). Et le glissement de perception que j’opère me permet d’aborder une autre dimension, de renouveler le regard et éventuellement de déverrouiller des portes, des blocages.

> Tu pars de l’ensemble, de l’environnement, et tu donnes un angle de vue qui va te permettre 
d’ouvrir, d’atteindre une autre dimension, un au-delà de la forme simple.
En tout cas, je pars de ce qui existe, de ce dont j'ai déjà fait l’expérience soit seule, dans mon intimité, soit dans un contexte social. En percevant les choses différemment, on peut atteindre une conscience de soi et des autres qui permet, d’une certaine manière, de résoudre certains de nos blocages. 

C’est pour cela que tu parles d’art thérapie ?
A un moment donné, le véritable travail se produit dans la transformation de soi et pas dans la transformation de la matière.

(...)

>Tu n’apparais pas, nous te voyons souvent de dos.
Je suis souvent coupée. On ne voit pas mes yeux, on ne m’aperçoit pas en entier. Il pourrait s’agir de quelqu’un d’autre. Il s’agit certes d’un spécimen humain féminin, on devine à peu près son âge, mais c’est tout.

>Dans la vidéo Recyclage, tu entretiens un décalage entre les images et les paroles, d’un côté 
l’excrément, de l’autre, l’esprit qui anime la matière.
C’est un collage sonore. Les propos de cet homme qui parlait d’anti-avortement sont grandiloquents et dogmatiques. J’ai pris ses phrases et je les ai découpées, pour transformer complètement son propos. J’ai pris des bouts et j’ai reconstruit un pseudo-discours en gardant la teneur docte.

>Nous pouvons entendre d’autres propos dans la vidéo…
Par exemple « ça n’était pas de l’or mais du bronze, et quel bronze... », c’est un archéologue amateur dans un reportage FR3, sur une des fameuses bandes U-matic récupérées. Il avait trouvé dans une rivière, une sorte d’Apollon romain, en bronze et il était super fier. « Mon corps était aussi une grande usine à consommer, à rejeter, à engloutir, à transformer… » Cette phrase provient aussi des cassettes FR3, d’une émission pour les enfants sur le corps humain.
L’homme qui parlait d’anti-avortement faisait une démonstration dont je me dissociais absolument. Cependant, certaines notions m’intéressaient bien : l’esprit, la matière, et leur relation… Je souhaitais associer ces notions à mes petits objets, sans trop préciser le sens, pour en préserver la complexité. Je cherchais aussi à évoquer l’état d’esprit dans lequel était sculptées les vénus callipyges du néolithique auxquelles leur forme fait référence. Pendant mon parcours universitaire, j’ai assisté à un cours d’histoire de l’art antique qui m’a imprégnée d’une réflexion sur ce que les formes artistiques disent de leurs sociétés d’origine. Certaines formes d’objets correspondaient à une représentation du monde « animiste », à des structures sociales communautaires. A travers ces objets, on peut remonter à cette vision du monde, comme on remonterait un cours d’eau vers une de ses sources. Ce rapport animiste au monde, cette histoire d’esprit et de matière, et cette manière de vivre ensemble en interaction avec son environnement, me touche.

(...)

>En refaisant ces petites Vénus, tu t’approchais des sociétés originelles.
Je souhaitais rechercher la forme, et également ce à quoi elle correspond. Même si la perception que j’en ai est approximative, cette intention produit un imaginaire, une forme d’oxygène dans notre société où les blindages se multiplient qui dissocient l’homme du tout.

>Lorsque nous regardons tes sculptures, nous voyons un changement de matière. L’excrément 
est cristallisé. Tu l’avais prévu ?
Dans la première version de la vidéo, la sculpture n’avait pas cet aspect. Cela restait très premier degré. Ce changement est le fruit d’une recherche quasi alchimique. Au fur et à mesure que j’ai travaillé le procédé, je suis parvenue à ce résultat. J’ai eu le sentiment d’avoir atteint une forme d’aboutissement, ma pierre philosophale. Cet aspect, précieux, m’a réjouie. 
J’aurais pu faire des sculptures-excréments toute ma vie.

>Tu en as fait 100…
C’est la multitude qui m’intéressait. Le jour où j’en ai eu fait 100, j’ai pensé qu’il fallait arrêter. J’avais atteint mon objectif de la multitude et il était temps de tourner une page. 

(...)

>Une fracture se crée entre le lieu intime de création de l’excrément et les images d’atelier, un 
atelier clinique où tu revêts un masque comme un chirurgien. Tu déportes l’excrément du lieu 
de production au lieu où il devient matériau artistique. 
La dimension clinique participe de la distance que j’avais envie d’émettre pour brouiller les cartes. Je n’ai pas besoin de faire une image de quelqu’un chez soi pour rappeler le caractère intime de l’excrétion. Une image qui évoque un espace aseptisé, un espace de monstration, extériorise même si c’est un espace clos. On est placé en situation de « réception » et non de voyeurisme…
David Le Breton a employé le mot d’extimité en parlant de mon travail. Au lieu de simuler un espace intime, c’est une forme d’extimité que j’ai recherchée.