E x t i m e (journal)

mardi 28 janvier 2014

Tiers Paysage (1)



"L'analyse du paysage de Vassivière, établie dans le courant de l'année 2002 pour le Centre d'art et du paysage, laisse apparaître le caractère artificiel de ce qui semble «naturellement » présent : l'étendue d'eau d'un barrage hydroélectrique, les arbres d'une forêt gérée, l'herbe des élevages bovins... Ensemble organisé selon les facilités du relief, les expositions, les accès.
Ce que perçoit l'oiseau – que notre regard embrasse depuis un sommet – est un tapis tissé de forme sombres et bourrues : les forêts ; et de surfaces claires bien délimitées : les pâtures.
L'alternance d'arbres et d'herbes creuse le paysage, l'anime de perspectives courbes relancées par un relief doux et profond. La balance des ombres et des lumières répond à un dispositif dont on devine l'économie.

L'immensité du territoire atteint par cet équilibre peut tromper le voyageur : s'agit-il d'un projet ? D'un hasard de l'histoire ? Morcellement des parcelles, habitat dispersé, variation du relief : tout cela constitue un appareil ancré dans la géographie et dans la société capable d'affronter durablement la machine à tout remembrer. Vestiges d'une polyculture dont un grand nombre de figures ont disparu pour laisser dominer deux richesses : l'arbre, l'herbe.
Purs produits de la PAC – attitude dont le pouvoir réducteur n'est pourtant pas venu à bout de toutes les diversités.
Si l'on cesse de regarder le paysage comme l'objet d'une industrie on découvre subitement - est-ce un oubli du cartographe, une négligence du politique ? - une quantité d'espaces indécis, dépourvus de fonction sur lesquels il est difficile de porter un nom. Cet ensemble n'appartient ni au territoire de l'ombre ni à celui de la lumière. Il se situe aux marges. En lisière des bois, le long des routes et des rivières, dans les recoins oubliés de la culture, là où les machines ne passent pas. Il couvre des surfaces de dimensions modestes, dispersées comme les angles perdus d'un champ ; unitaires et vastes comme les tourbières, les landes et certaines friches issues d'une déprise récente.

Entre ces fragments de paysage aucune similitude de forme. Un seul point commun : tous constituent un territoire de refuge à la diversité. Partout ailleurs celle – ci est chassée.
Cela justifie de les rassembler sous un terme unique.
Je propose Tiers paysage, troisième terme d'une analyse ayant rangé les données principales apparentes sous l'ombre d'un côté, la lumière de l'autre.
Tiers paysage renvoie à tiers état (et non à tiers-monde). Espace n'exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir.
Il se réfère au pamphlet de Sieyès en 1789 :
« Qu'est – ce que le tiers état ? - Tout. Qu'a  t-il fait jusqu'à présent ? - Rien. Qu'aspire-t-il à devenir ? - Quelque chose. » "

Manifeste du Tiers Paysage, Gilles Clément